22 octobre 2019

Instagram, son User ID et ses sites miroirs : le cas du Bastion Social

Par Sébastien

Fondé en mai 2017 suite à l’occupation par des militants du GUD (Groupe Union Défense) d’un bâtiment inoccupé appartenant à la Mairie de Lyon, le Bastion Social a brièvement incarné le renouveau du militantisme d’extrême-droite en France. S’inspirant du modèle italien du mouvement Casapound, les militants français ont ainsi prôné la création de centres sociaux destinés à aider “les français les plus démunis” et l’application de la “préférence nationale”. Si le mouvement essaime alors rapidement et que des sections locales du Bastion Social sont successivement ouvertes à Strasbourg, Chambéry, Aix-en-Provence, Marseille et Clermont-Ferrand, ses membres ne perdent pas pour autant leurs vieilles habitudes et continuent de faire le coup de poing. Les affaires d’agressions, souvent à caractère raciste, se multiplient et entachent la communication lissée et l’image caritative que veut se donner le groupe. C’est officiellement pour cette raison que le Président Emmanuel Macron annonce la dissolution du mouvement en février 2019, à l’occasion du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). En réalité, comme l’a révélé Médiapart, c’est plutôt l’incitation du mouvement à créer un groupe organisé en vue des affrontements de l’acte III du mouvement des gilets jaunes le 1er décembre 2018 à Paris, qui en est la raison. Cette annonce, confirmée en conseil des ministres le 24 avril dernier, force le mouvement à fermer ses locaux, mais aussi ses multiples comptes sur les réseaux sociaux.

Pourtant, moins de six mois plus tard, ce sont donc deux nouveaux groupes qui font leur apparition sur les réseaux sociaux, “Vent d’Est” en Alsace et “Audace” à Lyon. Leurs logos partagent la même charte graphique et la communication à propos de maraudes et d’actions écologiques n’est pas sans rappeler celle du Bastion Social. Pour Vent d’Est, on constate que moins de 24h après sa première et unique publication, le groupe compte 805 abonnés sur Instagram contre seulement 85 sur Facebook et 13 sur Twitter. Si ce différentiel d’audience d’un réseau à l’autre pourrait être expliqué par la pratique courante d’achat d’abonnés, un rapide coup d’œil à la liste permet de s’assurer qu’il s’agit bien de véritables militants tant les références d’extrême-droite sont nombreuses: croix celtiques, fleurs de lys, 88 (pour “Heil Hitler”, H étant la 8ème lettre de l’alphabet) etc. Mais alors comment expliquer ce nombre important d’abonnés ?

Le “User ID” d’Instagram

Intéressons-nous au fonctionnement d’Instagram. Il faut comprendre que si le réseau social permet de modifier à tout moment son nom d’utilisateur (précédé par un @), chaque compte se voit attribuer à sa création un identifiant utilisateur unique et inaltérable, le “User ID”. Bien que celui-ci ne soit pas visible sur la plateforme, de nombreux sites internet permettent de le consulter gratuitement (comme ici). OpenFacto en parlait justement dans son dernier billet. Dans notre cas, il suffit donc d’entrer le nom d’utilisateur du compte de Vent d’Est “@vent.est” sur l’un de ces sites pour obtenir son User ID, le n°2840585800.

Les sites miroirs d’Instagram

Puisque l’on soupçonne Vent d’Est d’être lié au défunt Bastion Social, on s’intéresse aux comptes Instagram de cette organisation qui utilisaient comme nom d’utilisateur le modèle suivant: “@bastion_social_nomdelaville”. Si l’on n’en trouve aucune trace via l’outil de recherche de la plateforme elle-même, une recherche Google donne des résultats sur divers sites tels que “pictame.com”, “pikdo.net” ou bien encore “picgra.com”.

Il s’agit là de sites miroirs d’Instagram qui copient le contenu du réseau social et proposent généralement quelques statistiques d’audience. Si leur intérêt est limité pour un utilisateur lambda, leurs fonctionnalités de recherche sont généralement plus pratiques que celles d’Instagram. Surtout, on y retrouve bien souvent du contenu ayant été supprimé ou modifié sur la plateforme initiale.

Une recherche sur Google “bastion_social_strasbourg” donne donc ce résultat:

On apprend ici que le compte associé au nom d’utilisateur “@bastion_social_strasbourg” a auparavant été associé à celui “@gud.alsace”. Mais surtout, en cliquant sur ce lien, on arrive sur la page de Vent d’Est. Dans l’URL, on retrouve le User ID du compte “@vent.est” ainsi que le nom d’utilisateur “gud.alsace”.

On a donc ici la preuve qu’il s’agit du même compte, celui-ci ayant été successivement associé aux noms d’utilisateur “@gud.alsace”, “@bastion_social_strasbourg” et “@vent.est”.

Deuxième cas

En appliquant la même méthode pour le compte Instagram du groupe Audace, on trouve que son User ID est le n°2789465095.

On réitère la recherche Google, cette fois-ci avec le nom d’utilisateur “bastion_social_lyon” en filtrant pour obtenir uniquement les résultats sur le site pictame.com.

Dès le premier résultat, la réponse est claire: il s’agit bel et bien du même compte Instagram. En cliquant sur le lien, on tombe sur la page d’Audace et on retrouve encore une fois dans l’URL le User ID. Celui-ci a donc été associé successivement à “@gud.lyon”, “@bastion_social_lyon” et “@audace_lyon”.

Que s’est-il passé ?

Lors de la dissolution du Bastion Social, plutôt que de supprimer définitivement les multiples comptes Instagram de l’organisation, les militants ont en fait décidé de les vider de leurs contenus et de les mettre en sommeil sous des noms d’utilisateurs anodins. Ils pensaient ainsi avoir effacé leurs traces tout en conservant leurs centaines d’abonnés. En septembre dernier, alors que les mêmes militants créaient de nouvelles structures, ils ont recyclé ces comptes pour immédiatement bénéficier de leur audience. La parade aurait pu fonctionner, mais c’était sans compter sur les traces laissées par le User ID et les sites miroirs d’Instagram.

En conclusion, lorsque l’on s’intéresse à un compte Instagram, il est important de ne pas limiter ses recherches à la plateforme même. Outre le manque de fonctionnalités de l’outil de recherche, le site ne propose pas d’archives. A contrario, une recherche Google à l’aide de quelques googledorks permet de trouver les informations voulues. Enfin, il est toujours intéressant de comprendre le fonctionnement basique du réseau social étudié, l’existence du User ID permettant ici de s’assurer qu’il s’agit bien des mêmes comptes.

Sébastien est un jeune chercheur sur le militantisme radical et membre de la communauté OpenFacto.

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