OpenFacto publie ici la Tribune d’Eric Emeraux, ancien Chef de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH), et membre d’OpenFacto.
Il est urgent que le gouvernement et le Parlement modifient la loi sur la compétence universelle pour que la France ne devienne pas une terre de refuge pour les auteurs responsables des pires crimes perpétrés dans le monde.
Le 13 janvier dernier, l’Allemagne condamnait à la prison à vie l’ancien officier syrien Anwar Raslan, pour des crimes contre l’humanité commis en Syrie. La Haute Cour régionale de Koblenz a ainsi reconnu coupable l’ancien officier syrien d’avoir organisé la torture de milliers de détenus, des dizaines de meurtres, ainsi que des viols et agressions sexuelles dans un centre de détention à Damas.
Ce fait constitue ainsi une avancée majeure dans la lutte contre l’impunité à l’échelle européenne et a été rendu possible grâce au principe de la compétence universelle. Elle constitue donc un outil extrêmement important pour les victimes d’atrocités lorsque les autres voies vers la justice ne peuvent leur être accessibles, ce qui est le cas de la Syrie. En effet, ce pays n’est pas un Etat partie au statut de Rome, et la Russie et la Chine bloquent à ce jour, toute possibilité, pour le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), de donner mandat à la CPI d’enquêter sur les graves crimes en Syrie.
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En France, ce principe de compétence universelle s’appuie sur un dispositif spécifique et cumulatif de conditions souhaité par le législateur. En premier lieu, le suspect doit résider habituellement en France. Ensuite, les poursuites devant les juridictions françaises ne peuvent intervenir qu’après l’absence de poursuites, par la Cour Pénale Internationale ou une autre juridiction. De plus, il faut qu’elles émanent d’une requête du procureur de la République antiterroriste. Enfin, la règle de double incrimination qui prévoit que le crime dont l’intéressé est accusé, doit être puni à la fois par loi française et par celle du pays où il a été commis, exception faite du crime de génocide, et ce depuis la loi du 23 mars 2019.
Dans l’état actuel des choses, force est de constater que ces conditions restrictives constituent dorénavant des verrous et limitent l’exercice de la compétence universelle dans notre pays.
Preuve en est la récente décision de la Cour de cassation du 24 novembre 2021, qui a consacré une interprétation étroite du critère de double incrimination prévu par l’article 689-11 du code de procédure pénale. Elle a ainsi conclu à l’incompétence du juge français s’agissant de crimes commis en Syrie, au motif que l’Etat syrien n’a pas ratifié le Statut de Rome, et n’a pas non plus incriminé les crimes contre l’humanité dans sa législation interne.
Cette condition de double incrimination pour les crimes les plus graves n’est pas exigée par le Statut de Rome, puisque la Cour pénale internationale peut être saisie d’une situation même si la législation de l’Etat dans lequel les crimes ont été commis n’incrimine pas l’infraction considérée.
Par définition, les crimes internationaux constituent la violation de valeurs universelles reconnues par la communauté internationale. Cette notion de double incrimination revient à remettre en cause cette universalité et est en parfaite incohérence avec les principes qui sous-tendent la justice pénale internationale.
Cette condition est enfin une prime donnée à l’impunité, puisqu’il suffit que l’Etat dans lequel des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre sont commis refuse de ratifier le Statut de Rome, et n’incriminent pas ces crimes dans sa législation interne, pour permettre à l’ensemble de ses ressortissants d’échapper à la compétence de la justice française.
Sur un autre plan, la loi française exige aussi que le suspect réside officiellement en France pour que des poursuites pour des crimes graves puissent être engagées. La résidence habituelle est requise pour les crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, alors que la présence en France au moment du dépôt de plainte est nécessaire pour les tortures d’Etat et les disparitions forcées.
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En conclusion, ces verrous introduits par les parlementaires constituent dorénavant des entraves importantes pour l’exercice de la justice internationale en France et pour les victimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Les organisations de défense des droits humains avaient appelé depuis longtemps les autorités françaises à remédier à ces failles juridiques qui bloquaient la condamnation des crimes contre l’humanité commis à l’étranger, mais elles n’avaient jamais été entendues.
Ils engendrent une situation qui tend à transformer la France en une terre de refuge pour les personnes responsables des pires crimes perpétrés dans le monde, ce qui est inadmissible au pays des droits de l’Homme. Par voie de conséquence, la France se trouve dorénavant à la traine en matière de lutte contre l’impunité en Europe.
Il est donc urgent d’inviter les parlementaires à revoir la loi en supprimant la double incrimination et en alignant les cinq infractions sur le régime de la présence en France de l’auteur présumé, plutôt que la résidence habituelle. Il est aussi souhaitable que le temps de garde à vue soit étendu à 96 H, il est de 48 h actuellement pour les tortures d’Etat et disparitions forcées.