Trace Labs, CTF et tatouages

Trace Labs, CTF et tatouages


Samedi 11 avril 2020, 23h59.  Plus qu’une minute avant le début des recherches...

Si la gamification est un concept qui touche de plus en plus de domaines, c’est peut-être ici une des meilleures applications qui en découle. Dans moins de 60 secondes s’apprêtait à se tenir la quatrième édition du CTF (Capture The Flag) organisé par Trace Labs, une organisation visant à récolter un grand nombre d’informations sur des personnes disparues par le biais d’évènements comme celui-ci. 

Plateforme du CTF (source : vidéo de présentation de Trace Labs)

Une quinzaines de profils sont déposés sur la plateforme dédiée, donnant les informations de bases sur les disparus : nom, prénom, âge, date de naissance, taille, poids, date à laquelle la personne a été vue pour la dernière fois, et parfois des détails concernant sa disparition, comme les personnes avec qui elle est suspectée se trouver. De là, les participants ont 6 heures (de minuit à 6h du matin en France, horaires américains obligent) pour réunir un maximum d’informations sur ces profils, toutes accessibles exclusivement en sources ouvertes. Pas de prise de contact possible avec les membres de la famille et amis ; pas de hack ; pas de récupération d’informations via des sites de médias, légaux, ou en lien direct avec la disparition de la personne (faciles à trouver et pas de valeur ajoutée).

Les données récoltées sont ensuite déposées sur la plateforme du CTF, qui permet d’attribuer des points suivant le contenu : informations sur les amis, 10 points ; informations sur la famille, 20 points ; réseaux sociaux du sujet, 50 points ; détails sur le jour de sa disparition, 500 points ; données trouvées sur le Dark Web, 1000 points, etc. . 

Si la conversion « données sur une vie humaine/points » surprend de prime abord, on comprend vite que le but derrière n’est pas de prendre à la légères ces vies. Il s’agit simplement de donner une dynamique aux recherches, motivées non seulement par la volonté de contribuer à un projet utile et de grande ampleur, mais aussi de trouver un maximum d’informations en un temps limité avec la volonté de se dépasser soi-même – et les autres – où chaque nouveau point gagné s’accompagne d’une montée d’adrénaline propre aux CTFs. Qui dit performance, dit plus de données de récoltées, dit plus de chances de retrouver les sujets disparus.

C’est  dans ce contexte que l’équipe d’OpenFacto a pris part à son premier CTF un dimanche matin en pleine période de confinement. 

Au cours de leurs recherches, un des membres de l’équipe s’est notamment heurté à une problématique à laquelle il n’avait pas l’habitude de se confronter : une des jeunes personnes dont il étudiait le profil présentait un tatouage dans le cou. Que faire du motif inscrit sur sa peau ?  Etait-il possible de faire le lien entre la disparue et une organisation quelconque ?

De l’identification des tatouages

Dans le cas étudié ici, un tatouage est visible dans le cou côté gauche du sujet. On peut observer le nombre « 112 » à l’encre noire, et ce qui pourrait apparaître comme le caractère ‘%’.

Photo floutée et retouchée de la personne portant le tatouage

Un tatouage pour les identifier tous


Si l’identité de la personne est connue dans le cas présent, lorsque l’on ne dispose que d’informations limitées sur un individu (ex : son physique), les tatouages font parti des signes distinctifs permettant d’aiguiller, parfois de manière significative, une enquête. On peut prendre ici l’exemple cité par Katelyn Bowden, fondatrice de la Badass Army qui se donne pour mission de lutter contre le revenge porn, narrant une de ses « premières expériences d’OSINT »  sur le podcast de la conférence d’OSINT et SE Layer 8.

Suite au vol de son sac à main par un homme portant un tatouage de mitrailleuse au visage, et du fait du manque de réactivité des autorités locales, elle décide de chercher par elle-même le malfaiteur. Pour ce faire, elle poste un message sur le groupe Facebook local de la ville. Toute l’astuce dans sa démarche est de ne pas avoir demandé de manière frontale si des gens connaissaient l’homme au visage tatoué. Au contraire, elle a pris le parti de simplement poster un message se lamentant des choix pathétiques de certaines personnes concernant le motif de leurs tatouages. Elle a ensuite demandé aux autres habitants si eux aussi avaient leurs propres exemples. Le commérage étant une activité particulièrement appréciée dans les petites communautés, Katelyn a rapidement reçu la réponse qu’elle attendait : une femme mentionnant le tatouage en forme de mitrailleuse sur le visage de son neveu. L’expérience décrite ici s’inscrit bien dans une démarche de récolte d’informations en source ouverte : le débat a certes été lancé par la victime du vol, mais l’agrégation de données s’est faite de manière passive, les gens postant d’eux-mêmes leurs messages sans qu’il n’y ait besoin de leur soutirer de manière active l’information.

Ce qu’il faut en retenir – outre le fait, comme le fait remarquer Katelyn, qu’un tatouage de mitrailleuse sur le visage n’est pas le meilleur moyen de rester discret – c’est que les tatouages sont clairement des signes distinctifs à prendre en compte dans une investigation. En plus de pouvoir plus facilement repérer la personne sur d’autres photos, ce détail permet, s’il est particulièrement original, d’identifier la personne – à condition de s’adresser à une communauté qui le connaît.


Des tatouages pour… en regrouper certains


C’est d’ailleurs aux communautés auxquelles nous allons nous intéresser dans cette partie. Suite aux interrogations concernant le tatouage cervical, un autre membre de l’équipe a rapidement aiguillé vers une page de l’ADL, Anti-Defamation League. Spécialisée dans les symboles utilisés par les suprémacistes blancs et autres hate groups, cette base de données regroupe ces symboles par catégorie (slogans, nombres, symboles neo-nazis, etc.), accompagnant parfois ces informations de photos illustratives. Constituée sous la forme d’un site disposant de filtres, cette page est particulièrement pratique pour la recherche de symboles très utilisés par ces groupes. A cela peut s’ajouter d’autres ressources, moins pratiques à utiliser car sous format PDF, mais qui ont le mérite de compléter la liste proposée par ADL. Le site de Public Intelligence met ainsi à disposition des documents publiés par diverses autorités américaines (et canadienne), certains portant sur les listes de tatouages surveillés par ces autorités. On trouve notamment :

Il est important toutefois de bien garder à l’esprit que ce genre de tatouage n’indique pas nécessairement l’appartenance d’une personne à un groupe quelconque à l’instant présent (cf. article de l’EFF, Electronic Frontier Foundation, au sujet de l’utilisation des tatouages en vue de l’identification d’un individu et de ses croyances/attachement à une organisation).

On notera au passage que si la culture populaire aurait tendance à associer les tatouages aux bandes criminelles organisées japonaises, les yakuzas, le port de tatouages n’a pas la même symbolique que dans des pays comme les États-Unis, le Mexique, etc.. Traditionnellement, les yakuzas n’ont pas de « tatouages de gangs » à proprement parler, il s’agit plus de la transcription d’expériences de vie à même la peau, comme l’explique un tatoueur interviewé par la BBC. L’article donne l’exemple d’un de ses contacts qui, ayant rencontré un certain nombre de difficultés dans sa jeunesse, a reçu un tatouage de carpe koï remontant le courant, témoignant de sa volonté et sa force à surmonter l’adversité. Ainsi, si les yakuzas avaient pour usage de se rencontrer dans les bains publics, ce n’était pas seulement pour s’assurer qu’aucun ne portait une arme sur lui – difficile de cacher une arme lorsqu’on ne porte pas de vêtements. Cela permettait également aux autres membres de voir les tatouages de chacun afin de se faire une idée de la personne qu’ils avaient face à eux. En bref : si les tatouages sur le sujet étudié vous donnent le sentiment qu’ils sont liés aux yakuzas, il s’agit de chercher la signification qui en découle plus que l’attachement à un gang particulier.

Retour sur le cas étudié


Via le site ADL, on peut voir que la chaîne de caractères « 112% » est affiliée à un motif suprémaciste blanc. Le « 100% » signifierait alors « 100% blanc », et le 12 correspondrait aux lettres « AB » comme « Aryan Brotherhood« . Cet élément a été soumis et accepté par les juges Trace Labs.

Retour d’expérience et conclusion

6h de recherches et quelques cannettes de boisson énergisante plus tard, l’équipe terminait 42ème sur 174 équipes, avec 56 soumissions de données.

Scoreboard final

Des enseignements les plus généraux que nos investigateurs ont pu tirer de cette expérience, il y a tout d’abord l’apprentissage de la gestion du bruit. En effet, si trouver des informations lorsque le sujet semble ne pas avoir de présence sur les réseaux sociaux s’avère ardue, évoluer dans un brouhaha de données l’est tout autant. Dans le cadre du CTF où les analyses portaient sur des personnes disparues, plusieurs profils nécessitaient en premier lieu de faire la part entre les comptes associés à la *disparition de la personne* et les comptes associés à la personne *elle-même*. A défaut de proposer une méthode pour écarter automatiquement ces comptes des recherches, l’équipe recommande de garder à l’esprit que certains comptes seront créés spécifiquement pour chercher la personne disparue. Si les commentaires sur ces comptes peuvent être regardés, une grande majorité ne sera que des expressions de compassion plus que des éléments utiles pour avancer dans l’enquête.

L’autre leçon à retenir s’est dévoilée en fin de parcours, quand la fatigue commençait à se faire sentir…


– J’ai trouvé ! J’ai trouvé son profil Linkedin, s’écria l’un des membres.
– Sérieux ? Bien joué, j’ai pas du tout eu le réflexe de chercher. En même temps, pour une jeune de 16 ans…
– Comment ça 16 ans ? Non, non, vu sa tête, elle a la trentaine bien tassée.
– Ah ? Pourtant sur sa fiche c’est noté 16 ans…


Même nom, même prénom, les deux photos représentant une femme typée hispanique… mais pas la même personne.
Le biais de confirmation, qui consiste à privilégier les informations qui nous confortent dans nos hypothèses, a été expérimenté par l’équipe ce soir-là. Rien de critique, puisque la confrontation des avis a permis de se dégager rapidement de ce biais cognitif. Il s’agit donc ici de se souvenir de l’importance de prendre du recul par rapport à ses recherches, soit en *adoptant* soi-même un autre point de vue, soit en *demandant* à une tierce personne son point de vue.


Enfin, concernant le CTF à proprement parler, les retours d’expériences principaux sont les suivants :

  • il semblerait que la réponse de base en cas de refus d’une donnée par les juges soit « manque de contexte« . L’équipe a interprété ce message comme étant signe que l’information n’était pas intéressante en soit, et pas nécessairement comme un élément à prendre au pied de la lettre – qui impliquerait la « recherche de plus de contexte » pour l’information considérée ;
  • bien penser à préparer son matériel avant le CTF, ce qui inclut notamment :
    • création de comptes dédiés (mails, Linkedin, Twitter, Facebook, TikTok, etc.) ;
    • environnement de travail dédié (VM, navigateur nettoyé des 1500 onglets ouverts en permanence le reste du temps, etc.) ;
    • outils et plugins fonctionnels sur l’environnement de travail ;
    • avoir sous la main des sites spécifiques aux US (@technisette propose sur sa page start-me un certain nombre de bases de données et moteurs de recherches dédiés à chaque pays) ;
  • bien communiquer avec le reste de l’équipe, et ne pas hésiter à être à deux sur un même sujet, afin de permettre un « jeu de ping-pong d’informations » ;
  • suivant ce à quoi l’investigateur carbure : prévoir plus de Guinness au frais, mais moins de boisson énergisante;
  • si le sujet reste moralement lourd (recherche de personnes disparues), l’aspect ludique choisi par Trace Labs permet de mettre cet aspect de côté pour se dédier entièrement aux recherches. L’expérience est enrichissante, et permet même aux novices de s’entraîner sur des cas réels, allant un peu plus loin dans leur formation OSINT. On peut mentionner à ce titre, moins « gamifié » mais également accessible à tous, la plateforme d’Europol « Stop child abuse – Trace an object », qui propose de chercher des informations sur des objets (vêtements, détails de décors) afin d’aider à faire avancer les enquêtes visant à retrouver à la fois les enfants abusés mais aussi les criminels.

Dimanche 12 avril, 6h01. Les membres de l’équipes se déconnectèrent un à un en vue d’aller trouver le repos après ces quelques heures de recherches intensives. Fatigués mais satisfaits de cette expérience, ils étaient unanimes quant à un objectif  : participer au prochain CTF de Trace Labs, en vue de récolter encore plus d’informations et contribuer à l’effort collectif  – et international – investi dans ces campagnes de recherches.

Merci à Mélanie d’avoir pointé à l’auteure le site de Public Intelligence qui s’est avéré bien utile pour la rédaction de cet article.

Violations de l’embargo sur les armes en Libye – Guide méthodologique

Violations de l’embargo sur les armes en Libye – Guide méthodologique

Visite d’un navire au large des côtes libyennes. – Source : flickr

La recherche en sources ouvertes permet de documenter les violations multiples de la Turquie de l’embargo sur les armes en Libye

OpenFacto a suivi sur plusieurs mois, au travers de sa veille en sources ouvertes, le conflit en Libye, et notamment le soutien militaire de plusieurs acteurs internationaux aux factions armées locales, contraire a l’embargo sur les armes imposé par le Conseil de Sécurité de l’ONU en 2011. Ce guide s’intéresse particulièrement à la Turquie et à ses multiples violations de l’embargo sur les armes en Libye. Au travers de six études de cas, nous verrons comment l’utilisation des sources ouvertes s’avère très utile pour documenter les manquements de la Turquie a la résolution du Conseil de Sécurité concourant ainsi à l’aggravation et l’influence du conflit :

  • Identification des navires ayant servi a la livraison d’armes grâce au recoupement de rapports, des réseaux sociaux et de l’étude du trafic aux ports libyens en provenance de Turquie.
  • Identification des réseaux de livraisons des armes ou des mercenaires liés à des transporteurs d’armes, des groupes terroristes ou businessmen peu scrupuleux.
  • Identification des industriels turcs qui ont fabriqué les armes
  • Identification des factions du Gouvernement d’Entente Nationale destinataires des armes que la Turquie soutient dans le conflit.
  • Multiplicité des cas d’études qui démontre une stratégie étatique de soutien au conflit Libyen.

Nouveau!


Cliquez sur les liens sur les images pour découvrir les différentes investigations.


Au travers de ces six cas, ce guide propose ci-dessous une méthodologie pour assurer le suivi et la documentation les violations des embargos sur les armes en sources ouvertes.

Une méthodologie de suivie en sources ouvertes des embargos sur les armes


Le régime d’embargo sur les armes est une restriction et/ou une série de sanctions qui s’appliquent aux armements au sens large mais aussi aux technologies dites « à double-usage » (entendre civile et militaire). Il peut avoir un objectif politique, militaire et être un mécanisme de maintien de la paix. Il convient de bien comprendre ce qu’il couvre dans le cas d’étude choisi.
Dans le cas de la Libye, le régime d’embargo sur les armes interdit la vente ou la fourniture “d’armements et de matériel connexe de tous types : armes et munitions, véhicules et matériels militaires, équipements paramilitaires et pièces détachées correspondantes et interdire l’exportation par la Libye de tous armements et matériel connexe” d’après la résolution 1970 (2011) du Comite Libye du Conseil de sécurité.
Le défi, dans la recherche d’ une violation d’un embargo par un acteur étatique, réside dans la mise en place d’un système de transactions, d’un circuit d’achat et de livraison complexe qui est par essence le plus occulte possible. Pour être efficace et essayer d’orienter sa veille et sa recherche efficacement, nous vous proposons de nous concentrer sur trois nœuds : les acteurs en présence, les équipements et le circuit de livraison.

Détecter les embargos

  • La mise en place d’un embargo ou de sanctions sur les armes est décidée par le Conseil de Sécurité de l’ONU ou d’autres acteurs étatiques comme l’Union Européenne. Le Stockholm International Peace Research Institute en fait la liste et renvoie au texte instituant la mise en place des embargos.
  • Le Conseil de Sécurité de l’ONU met en place un comité de surveillance pour le respect de l’embargo par résolution. Ce comité, composé d’un panel d’experts, produit de façon régulière des rapports très riches en informations sur les conditions du respect ou des violations de l’embargo. Ces rapports sont une vraie mine d’informations pour pivoter précisément sur les entités ou les moyens logistiques qui forment le circuit de contournement.

Les acteurs en présence

  • La bonne compréhension du conflit dans le pays sous embargo permet d’établir une cartographie des forces locales en présence. Il est important de comprendre auprès de quel acteur international, telle ou telle faction va chercher du soutien afin d’identifier la relation potentielle fournisseur/acheteur qui peut s’établir. Il est l’heure de mettre en place votre tweetdeck avec des listes pour suivre l’actu et les personnes qui font autorité sur votre sujet d’intérêt.
  • Pour constater l’utilisation du matériel par le groupe arme local, les réseaux sociaux sont vos amis! Récolter des photos ou des vidéos du matériel arrivé à destination via la publication en ligne par l’organe de communication du groupe armé ou par les comptes de ses membres constitue autant de preuves du voyage du matériel d’un point à un autre :
    • suivre les pages des organes de communication des différentes factions sur les réseaux sociaux: Facebook, Telegram, Instagram…
    • suivre les pages des réseaux sociaux dédiés aux groupes armés ou chefs de guerre
    • suivre des journaux locaux partisans des différentes factions en ligne pour récupérer les images

Les équipements

  • SIPRI offre plusieurs bases de données qui donnent une idée des volumes d’armes exportées par certains pays. Dans le cas d’une activité clandestine comme la violation d’un embargo les chiffres n’y seront pas forcement mais quelques indications peuvent attirer l’attention.
  • Les sites d’informations spécialisés sur le secteur maritime mettent régulièrement en ligne des nouvelles concernant les saisies maritimes de biens illégaux ou d’armes : les ports et les noms des navires y sont mentionnés.
  • Certaines organisations spécialisées sur la recherche du trafic d’armes mettent en ligne des guides d’identification d’un certains nombres d’armements: Small Arms Survey, Conflict Armement Research et le portail iTrace
  • Un groupe de twittos en ligne toujours prêts a aider: @CalibreObscura, @ArmoryBazaar, @AbraxasSpa, @Silah_Report, etc…
  • Via les vidéos et images mises en ligne: identifier le matériel mais aussi les quantités quand c’est possible.

Le circuit de livraison

  • Le contournement des embargos s’effectue via des sociétés spécialisées dans la logistique peu regardantes sur les résolutions du Conseil de l’ONU et/ou par la falsification des documents d’exportation. Il convient donc d’identifier les navires ou les avions par lesquels l’armement est acheminé et les sociétés impliquées.
  • L’étude des mouvements des navires et des avions, ainsi que des ports du pays sous embargo permet d’identifier les moyens de transport utilises pour transporter les armes. Les outils de base sont:
    Marine Traffic, Vessels Finder
    Flight radar
    Equasis qui est une base de données intéressante liées aux navires et qui permet d’identifier leurs armateurs et propriétaires.
  • Une fois en possession du nom de la société, il convient de faire des recherches dans les bases de données d’enregistrement des sociétés, et de vérifier l’honorabilité de la société: reptation, présence sur des listes, juridictions, autres bateaux, avions dans des livraisons douteuses, affiliations des dirigeants.
    • La grande base de données de l’OCCRP
    OpenCorporate, très intéressante pour les sociétés au Panama notamment…
    • La base de données de leaks de l’ICIJ
  • Des sites comme Panjiva ou 52wmb.com peuvent parfois laisser apparaître la société qui envoie ou reçoit la livraison au nom de l’expéditeur ou du destinataire final (le consignee) : cela permet parfois d’identifier un intermédiaire dans le réseau de fourniture de l’armement, d’identifier des volumes.
    Enfin, il s’agit de recouper et de compiler pour voir la récurrence de ce type de contournement sur un certain temps.

Quelques ressources pour aller plus loin sur le conflit en Libye

Syrie : Les barrages qui révèlent l’intérêt stratégique de l’autoroute M4

Syrie : Les barrages qui révèlent l’intérêt stratégique de l’autoroute M4

Thomas Eydoux et Elie Guckert, journalistes, livrent pour OpenFacto une analyse de l’intérêt stratégique d’une autoroute syrienne, à l’aide de techniques de géolocalisation.

Patrouille conjointe russo-turque le 15 mars sur la M4 entre Saraqeb et al-Nerab. Source : Millî Savunma Bakanlığı

L’autoroute M4 est devenue au cours des dernières années du conflit syrien un axe de plus en plus crucial. Longeant la frontière turque pour relier les villes de Lattaquié et Saraqeb dans le gouvernorat d’Idlib, elle est également connectée à la M5 et rejoint Alep avant d’atteindre la frontière Irakienne. Longue de près de 120 km au total, cette route a été le théâtre de nombreux incidents impliquant tous les belligérants. L’apparition de barrages à la mi-mars dans la région d’Idlib est venue une fois de plus mettre en lumière l’importance stratégique de cette route.

Carte de l’autoroute M4 (Source : Wikipedia)

Après plusieurs jours de violents combats début mars entre l’armée turque et le régime dans la région d’Idlib – où Ankara a perdu des dizaines d’hommes tout en infligeant de très lourdes pertes à l’armée syrienne – la Russie a finalement conclu un accord de cessez-le-feu avec la Turquie, le 5 mars, avec la mise en place de patrouilles conjointes sur la M4. De telles patrouilles avaient déjà été organisées à l’est sur ce même axe entre les États-Unis et la Turquie dès 2017 quand cette dernière a attaqué les forces kurdes du YPG, à la tête des Forces démocratiques syriennes qui ont mis fin au califat de l’État Islamique avec le soutien de la coalition occidentale. Au cours de l’offensive « Source de paix » fin 2019, cette route avait aussi été le théâtre d’exécutions sommaires imputées à des groupes rebelles soutenus par la Turquie.Le régime et la Russie patrouillant également sur cette route, elle est rapidement devenue encombrée par diverses factions aux intérêts opposés, et dont l’inévitable chevauchement a conduit à plusieurs accrochages. À la mi-février, les forces américaines se sont par exemple retrouvées prises pour cibles par des combattants syriens sous l’œil bienveillant d’une patrouille russe, près de Qamichli, à l’Est.

Vidéo Newsy + Bellingcat, sous-titrage français par Syrie Factuel

Pour le régime syrien, l’autoroute M4 constitue l’un des derniers grands axes de transport qui reste en dehors de son contrôle total. Elle traverse la province d’Idlib, dernière région aux mains des rebelles que le régime tente de reprendre depuis des mois au prix d’immenses pertes civiles.

Des barrages sur la M4

Signe de l’importance stratégique de la M4, l’accord russo-turc entré en vigueur le 5 mars prévoit, en plus des patrouilles conjointes, la mise en place d’un «couloir de sécurité» de six kilomètres de profondeur de chaque côté de l’autoroute, soit une zone tampon large de 12 kilomètres au total. Mais ce plan a été enrayé dès le début de sa mise en application. Selon l’AFP, un barrage a été réalisé en pleine nuit au milieu de la M4, «un jour à peine après que la Turquie et la Russie ont lancé une patrouille conjointe le long de l’autoroute».

Toujours selon l’AFP, ce barrage aurait été construit juste à côté d’al-Nerab, une localité qui se trouve à quelques kilomètres seulement de la ville de Saraqeb, carrefour stratégique entre Alep, Damas et Lattaquié. Saraqeb a fait l’objet de violents combats entre l’armée syrienne et les rebelles soutenus par la Turquie en février, avant que le régime ne s’en empare définitivement début mars.

Sur la vidéo de l’AFP, on peut repérer des éléments particuliers qui permettent de localiser précisément le lieu où se trouvait le barrage : on aperçoit ainsi un muret, à gauche de la route, et un ensemble de bâtiments, à droite. On remarque aussi un petit chemin de terre qui rejoint le barrage, à droite. On peut donc géolocaliser ce barrage sur la M4, à cet endroit, non loin d’al-Nerab.

Le muret, en rouge ; l’ensemble de bâtiments, en jaune ; et le chemin de terre, en vert. Source : GoogleMaps
Position du barrage par rapport à al-Nerab. Source : GoogleMaps

Or, selon le média pro-Kremlin Sputnik, la première patrouille russo-turque « est partie de la localité de Trumba à deux kilomètres à l’ouest de Saraqeb le long de la route M4 qui relie les villes d’Alep et de Lattaquié. » Trumba se trouve ici, à un peu plus de 7 km au sud-est d’al-Nerab.

Des photos diffusées par le ministère de la Défense turc ainsi qu’une vidéo partagée par le média pro-russe Sputnik permettent de localiser la première patrouille russo-turque en train de se déplacer non-loin de ce barrage, le 15 mars. On distingue ainsi deux grandes roues au bord de la route, ainsi qu’une rangée de pylônes électriques de l’autre côté de la route. Ces éléments nous permettent de géolocaliser l’endroit précis où est passé la patrouille russo-turque du 15 mars, ici, où le convoi semble faire demi-tour.

En rouge, les deux grandes roues ; En jaune, les pylônes électriques. Source : Millî Savunma Bakanlığı
En rouge, les deux grandes roues ; En jaune, les pylônes électriques. Source : Sputnik
En rouge, les deux grandes roues, en jaune, les pylônes électriques – Source : GoogleMaps

Ce mini-parc d’attractions se trouve à moins d’une dizaine de kilomètres du barrage que nous avons localisé ci-dessus. En partant du principe que la patrouille est bien partie depuis Trumba, on peut donc retracer grossièrement l’itinéraire présumé de la patrouille par rapport au barrage : jonction avec la M4 au nord de Trumba, puis départ vers al-Nerab à l’ouest avant de finalement faire demi-tour à hauteur du parc, pour repartir en direction de l’est.

En rouge, la position des deux grandes roues où la patrouille fait demi-tour pour repartir en direction de l’est ; à gauche, au bout de la ligne bleue,, la position du barrage. Source : GoogleMaps

Impossible d’établir sur la seule base des vidéos et des photos si cette patrouille a effectivement renoncé à continuer son chemin vers al-Nerab en raison d’éventuels barrages. On sait en revanche que le ministère russe de la Défense a annoncé le même jour que «Le trajet de la patrouille conjointe a été réduit à cause des provocations prévues par des groupes radicaux échappant au contrôle de la Turquie.» 

Un accord contesté par les rebelles

Le 16 mars, la chaîne d’information al-Jazeera a publié un reportage au sujet d’une manifestation d’opposants au régime syrien, avec la fabrication d’un barrage bloquant l’accès aux patrouilles sur la M4. Grâce à des éléments particuliers observables dans le reportage, dans la vidéo de l’AFP (qui mentionne aussi ce deuxième barrage) et des images postées sur les réseaux sociaux, nous sommes en mesure de géolocaliser l’endroit exact où a eu lieu cette manifestation. On aperçoit un panneau publicitaire à l’entrée du village, à côté d’un muret longeant la route et derrière lequel se trouvent des bâtiments caractéristiques, ainsi que deux châteaux-d’eau en arrière plan. Ce qui permet d’affirmer que la manifestation s’est également déroulée à al-Nerab, à cet endroit, à un peu plus de 3 kilomètres du premier barrage identifié plus haut.

En rouge, le panneau publicitaire, en bleu, les châteaux-d’eau. Source : al-Jazeera
En vert, un bout du village ; en rouge, le panneau, en jaune, le muret, en bleu, les châteaux-d’eau et enfin en noir, le chemin de terre. Source : GoogleMaps

Deux manifestants interviewés dans le reportage d’al-Jazeera expliquent pourquoi ces barrages ont été construits : « Nous n’ouvriront pas la route à moins que les forces d’Assad et les milices russes ne se retirent », affirme le premier. « Nous n’avons rien à faire de cet accord. Nous ne permettrons pas aux Russes de venir ici, ils doivent partir de notre pays ! », proteste le deuxième. Pour les opposants au régime de Damas, l’arrivée des Russes, même dans des patrouilles conjointes avec les Turcs qui soutiennent la rébellion, n’est évidemment pas une bonne nouvelle. D’autant que la mise en place d’une zone tampon s’étendant à 6 km au nord et au sud de la M4 donnera de fait au principal allié de Bachar al-Assad une forme de contrôle sur une large partie du territoire qui échappe encore aux forces du régime, et qui se retrouvera en quelque sorte coupé en deux. En outre, le village d’al-Nerab, actuellement en territoire rebelle, se retrouverait justement à l’intérieur de cette zone tampon.

En vert, le territoire sous contrôle rebelle avec al-Nerab (Nayrab), en rouge, le territoire sous contrôle du régime et de son allié russe, avec Saraqeb (Saraqib). Source Liveuamap

En conséquence, la Russie avait annoncé le 15 mars avoir accordé du temps à la Turquie «pour prendre des mesures appropriées en vue de neutraliser les terroristes et garantir la sécurité des patrouilles conjointes sur la route M4». La Turquie aurait depuis détruit au moins l’un des barrages, sans que nous soyons en mesure d’identifier lequel. Mais il semble que les protestations et la construction de barrages à al-Nerab continuent malgré tout, retardant toujours la possibilité pour les Russes de mener des patrouilles avec les Turcs.

Ces contre-temps démontrent la fragilité de l’accord russo-turc, car il appartient à la Turquie de garder le contrôle sur les différentes factions rebelles, ce qu’elle a continuellement échoué à faire depuis des mois. En outre, le cessez-le feu conclu le 5 mars a déjà été violé à de nombreuses reprises par les deux camps, et la Turquie a même annoncé le 19 mars que deux de ces soldats avaient été tués sur la M4 par des «groupes radicaux», sans donner plus de précisions.

Depuis le début de l’offensive du régime et de son allié russe sur la région d’Idlib en avril 2019 qui avait déjà fait exploser les accords de Sotchi, deux autres tentatives de cessez-le-feu ont déjà échoué. La question est donc désormais de savoir combien de temps tiendra réellement le troisième.

Fin février, l’ONU a qualifié la situation dans la région de « plus grande histoire d’horreur humanitaire du XXIe siècle », avec près d’un million de déplacés, dont les trois quarts sont des femmes et des enfants. 

Thomas Eydoux et Élie Guckert


  • Thomas Eydoux est journaliste en formation au CFPJ, actuellement chez BFMTV.
Un peu d’Hist-OSINT…

Un peu d’Hist-OSINT…

Sur le réseau Twitter, l’ami Eric Pommereau sollicitait ces jours-ci un coup de main pour localiser deux scènes de la vie familiale tirées de films au format 9.5, numérisés par ses soins.

La résolution des images est assez faible, compte tenu de l’âge des films et du matériel utilisé à l’époque pour filmer. Il est donc difficile en l’état de pouvoir localiser cette scène. Eric précisait alors que l’image du port était disponible en ligne sur le site Vimeo.

Comment résoudre l’énigme du port?

Nous allons détailler ci-après le processus en différentes étapes, et voir avec quels outils, libres, gratuits et compatibles avec tous les systèmes d’exploitation (toujours!), il est possible d’arriver à un résultat tangible.

1- Collecter et archiver la source :

Dans un premier temps, j’ai donc récupéré le film au format MP4 pour l’étudier en détail, en utilisant JDownloader, permettant de télécharger à peu près n’importe quel type de fichier multimédia. J’ai essayé deux plugins Firefox avant cela, mais le format généré par Vimeo était bourré d’erreurs.

Pour les photos, il est utile de rappeler ici que pour récupérer les photos originales de Twitter, sans compression et dans la meilleure résolution, il convient d’ajouter « :large » à la fin de son URL :

https://pbs.twimg.com/media/D6B1OavXsAESdF6.jpg
https://pbs.twimg.com/media/D6B1OavXsAESdF6.jpg:large

2- Analyse visuelle

Une fois récupéré, il est possible de l’étudier attentivement pour remarquer quelques détails :
– Le bateau à 0’40 est immatriculé à Auray (Ay), celui à 1’50 est du Guilvinec (GV). A ce stade, on peut confirmer l’hypothèse initiale d’Eric qui était la Bretagne sud.


– A 2’06, on peut voir le Guedel qui faisait Quiberon Belle-ile en mer, et plus étonnant, à 2’40 l’Insula Oya, qui faisait les trajets vers l’île d’Yeu depuis Fromentine.

Dès lors, on peut déjà indiquer que Port-Maria à Quiberon représente une piste sérieuse : port d’attache du Guédel, il est situé dans une ville balnéaire développée et assez cossue (bâtiments en arrière-plan). Les ports de Belle-île-en mer (Sauzon et Le Palais) sont eux beaucoup trop étroit pour correspondre.

A l’aide du logiciel GIMP et de son greffon GMic, nous pouvons éclaircir et affiner légèrement la netteté d’une des captures d’écran réalisées avec VLC, le lecteur multimedia.

Le Guédel, amarré à son quai (image retouchée)

Une source précieuse d’information, lorsque l’on recherche des images anciennes, est bien évidemment les sites d’achat/vente/collection de cartes postales anciennes.
Pour le Morbihan, il est possible notamment de découvrir à l’aide de Google ou de Qwant, ce site assez complet sur Quiberon où l’on découvre ces deux cartes postales.

3 – Aller plus loin

Encore une fois, le format 9.5 ici utilisé est assez resserré, et d’une résolution très faible. Une technique très utile en matière de GEOINT pour donner du champ et de l’espace est de confectionner des panoramas.
Pour ce faire, nous allons utiliser deux fonctions de VLC : la capture d’écran, et la lecture frame-by-frame, c’est à dire image par image. Pour cela, on met le film en pause et on appuie sur la lettre « e » pour faire défiler le film. On gardera alors plus facilement les images nettes.
L’idée est de conserver 4/5 images assez similaires, idéalement dans le même plan, comme dans cet exemple.

A l’aide du logiciel Hugin, nous allons assembler ces images automatiquement et obtenir le panorama suivant :

Port-Maria à Quiberon (56)

Le film d’Eric présente plusieurs scènes qu’il est ainsi possible d’assembler:

On notera que la scène finale est caractéristique du relief de Belle-île-en-Mer et plus particulièrement du site de la Grotte de l’Apothicairerie, dont on peut trouver quelques clichés sur Flickr, par exemple. Il faudrait sans doute compléter les recherches pour identifier le lieu précis de prise de vue.

4- En résumé

On le voit, avec quelques outils libres et gratuits (lecture et retouche d’image, création de panorama….), un peu de méthode et de technique, et en utilisant un fond documentaire adéquat, qui servira d’imagerie de référence, il est possible d’identifier un lieu sur la base de quelques images.

Comment résoudre l’énigme des bagadous?

Pour les bagadous, c’est a priori un peu plus difficile : on ne dispose pas du film d’origine.
Il faut donc travailler sur l’image elle-même. On repère ainsi une longue avenue qui évoque la sortie de la ville, une devanture de magasin ou d’un restaurant, quatre piliers de clôture aux formes assez caractéristiques, une dans le décrochement de l’immeuble assez haut, sur la façade, une inscription « Hôtel de la gare Bar- Restaurant« .

En essayant d’améliorer l’image de l’inscription sur le mur, on peut imaginer que l’inscription pourrait se terminer par ON, et qu’il pourrait s’agir de Quiberon. Il faut convenir qu’à ce stade, c’est une maigre piste, mais il faut bien un point de départ….

A l’aide de Google images, nous allons donc chercher s’il existe des cartes postales du quartier de la gare de Quiberon, qui pourraient confirmer ce lieu en effectuant deux recherches :

"place de la gare" quiberon

"hotel de la gare" quiberon

Deux images sautent immédiatement aux yeux :

Ce lieu est situé à proximité de la gare à Quiberon, et même s’il a quelque peu changé de nos jours, on reconnaît aisément les piliers de clôtures dont deux exemplaires sont toujours présents, et la façade de l’immeuble à gauche. L’immeuble a quant à lui disparu, et a été remplacé par un bâtiment plus bas, disposant d’une emprise sur ce qui était à l’époque la terrasse.

THAT’S A MATCH!

Épilogue

Vous aimez l’OSINT? rejoignez-nous au sein de d’OpenFacto et inscrivez-vous à nos ateliers! 🙂

Edit : 09/05/2019 14:53 : J’ajoute ce lien fourni par @il_kanguru sur Twitter :

Nouvelle usine secrète et missiles balistiques en Iran: la symbolique des images

Nouvelle usine secrète et missiles balistiques en Iran: la symbolique des images

Par une équipe de recherches OpenFacto

A l’occasion du quarantième anniversaire de la Révolution Islamique en Iran, la chaîne Channel 1 TV a diffusé un reportage le 7 Février 2019 dans la grande tradition de la démonstration de la force militaire du pays. Le reportage met en avant l’inauguration d’une nouvelle usine secrète de fabrication de missiles balistiques iraniens, un nouveau missile balistique d’une portée de 1000km le Dezful et un tir de missile. Le journaliste conduit également une longue interview du Général Major Mohammad Ali Jafari au commandement des Sepah-e Pasdaran, les gardiens de la Révolution et du Général Amir Ali Hajizadeh, le commandeur de la force aérospatiale des gardiens de la Révolution.

Le site MEMRI offre une version sous-titrée et juste le script aussi en anglais.

Décrypter la vidéo

La vidéo montre une usine souterraine où des scientifiques masqués travaillent sur plusieurs missiles : c’est ici où les deux généraux sont interviewés par le journaliste. D’autres images montrent le missile Dezful et le tir d’un missile balistique. A la vue de ces images, il s’agit d’une démonstration de force de l’Iran dans sa capacité balistique. Les images de la vidéo laissent penser qu’il s’agit à la fois d’une présentation de la nouvelle usine et du nouveau missile mais aussi un tir d’essai de ce dernier. Cependant et comme toute vidéo de propagande, il convient d’essayer de décortiquer ce que nous voyons pour comprendre ce qu’il se passe vraiment.

Dans un premier temps, on remarque qu’il s’agit d’un montage vidéo utilisant des images provenant de sources différentes afin d’agrémenter l’entretien conduit dans l’usine avec des éléments visuels aditionnels. Nous avons donc en réalité 4 types d’éléments  visuels à analyser :

  • L’entrée de l’usine
  • Le tir d’un missile orange
  • Le tir d’un missile blanc
  • L’usine dont la cohérence de la séquence est déterminée par la présence du journaliste et des généraux militaires

Au temps 0:31 la vidéo montre l’entrée en accéléré d’un long tunnel qui débouche sur une porte avec au sol un drapeau israélien. Ce plan rapide n’est pas propre à cette vidéo mais issu d’une vidéo datant du 8 mars 2016 en référence à des exercices au nom de code Eqtedar-e-Velayat montrant une base souterraine abritant des missiles balistiques qui seront tirés à plusieurs endroits du pays. Est-ce en réalité la même usine dont on montrerait simplement d’autres plans? Est-ce une autre base? On peut donc se demander si la nouvelle usine en question possède ce type d’agencement et de peintures au sol. Difficile à dire.

Vidéo d’une usine sous terre datant de 2016

Dans les vidéos utilisées par MEMRI, on peut voir des tirs de missiles qui peuvent donner l’impression d’être un seul et même missile. Pourtant, on peut voir à la minute 00 :48 et 00 :50 qu’il s’agit de deux différents démontrant a priori une comparaison entre l’ancien Zolfaghar et le nouveau Dezful.

Nouveau missile Dezful
Missile Zolfaghar

En faisant un reverse image, nous tombons sur le compte Instagram de Iranian Defense Power qui fait une revue détaillée de ces deux missiles avec des images originelles.

Finalement, la video permet de réaliser un mapping grossier et illustratif (non représentatif des plans réels de l’usine) de certaines parties de l’usine secrète. Les images diffusées ainsi que l’agencement spatial de l’usine montrent surtout la partie assemblage et de stockage des missiles.

Il n’est pas possible de dire si les pièces sont fabriquées sur place ou si elles proviennent de différents sites.

Mapping illustratif des couloirs potentiels de l’usine basé sur les vidéos tournées dans l’usine

La presse iranienne mentionne dès Mai 2017 la fabrication du missile Dezful dans The Tehran Times en indiquant qu’une troisième usine sous-terre a été construite pour la production de missiles balistiques. Cette déclaration est faite dans la ville de Dezful par le Commandant des Gardiens de la Révolution, Sardar Amir Ali Hajizadeh.

Il n’est pas possible de géolocaliser les images de l’usine dans une ville précise.

Néanmoins, le nom du missile et le lieu de cette déclaration ne sont pas un hasard et révèle la portée symbolique que le régime veut donner au programme balistique pour mobiliser l’opinion publique. Dezful est une ville à l’Est de l’Iran dans la province du Khuzestan, près de la frontière irakienne. La ville abrite la base aerienne de Dezful Vahdati – 4e base aérienne du pays. Elle a été bombardée au début de la guerre Iran-Irak. Alors que le pays étant sous sanction et ne disposant pas de forces de frappe pour se défendre, cet évènement reste un traumatisme national. Cela lui a valu d’être appelée la Ville des Missiles et la Ville de la Résistance.

Exploration de Dezful, ville militaire emblématique

Il est intéressant d’explorer la ville pour en comprendre sa position stratégique. Sur wikimapia et grâce au filtre « militaire », un certain nombre d’installations militaires importantes liées à l’histoire de la ville et la présence de la base sont répertoriées.

Les sites sur lesquels il est intéressant de s’attarder sont la base aérienne, la base SAM et un radome non répertorié sur Wikimapia.

La base aérienne est un aéroport civil depuis fin 2007 mais aussi une base militaire qui accueille le seul salon militaire ouvert au public iranien du pays. L’utilisation de la fonction « time » de Google Earth permet de voir divers avions et jets sur le tarmac.

Vue de la base en 2013 avec la fonction time de Google Earth

L’intégration de photos permet de voir le type d’avion présenté au moment du salon annuel.

SU-24 Fencer

En se promenant autour de la ville de Dezful, nous pouvons découvrir cette base carrée clairement délimitée par des murs et à caractère militaire avec des zones SAM (entourées en rouge). L’existence de cette base est antérieure à 2003.

Base militaire protégée

Cachée à l’est dans la montagne, on retrouve une base militaire avec un radome abritant un radar. Les sites SAM (entourés en rouge) sont là pour le protéger. Il est intéressant de noter que le radome est très récent: 2018 avec un période de construction en 2017 et un radar classique jusqu’en 2016.

Vue en Juin 2018
Vue en Juillet 2016

Ce lieu confirme l’importance très stratégique de Dezful dans la défense aérienne du pays et met en lumière le narratif qui peut accompagner le nouveau Missile Dezful.

Introduction à la géolocalisation pour des étudiants de Sciences Po Paris

Introduction à la géolocalisation pour des étudiants de Sciences Po Paris

Introduction et cas pratiques animés par Lou

OpenFacto a eu l’opportunité d’intervenir le 6 Mars dernier dans le cours de C. Cohen intitulé « Politics of images in international conflicts » à Sciences Po Paris qui débat du rôle des images dans les conflits et de leur utilisation à des fins politiques.

Au programme: une introduction aux techniques de vérification et géolocalisation des images et des vidéos, questions à se poser dans le cas d’une actualité chaude, méthodologie pour géolocaliser et dater des images et une introduction à quelques outils en ligne. L’atelier s’est terminé par l’étude de 3 cas: un groupe terroriste en Syrie, des manifestations au Soudan et un cas de désinformation sur l’Iran.

OpenFacto a adoré partager avec les étudiants très curieux sur le sujet! Un grand merci au professeur pour cette opportunité.